Le pont de pierre enjambe le loir, au lude, depuis 1868. Auparavant, on franchissait la rivière et les ruisseaux stagnants de la rive droite sur trois ouvrages en bois qui permettaient d’atteindre sans encombre le carrefour de la Croix de Malidor. On désigne d’ailleurs encore ce lieu sous le nom général « des Ponts ».
L’origine du premier pont au Lude remonte vraisemblablement à l’époque de la création de la ville, vers le Vème ou VIème siècle mais bien antérieurement un gué autorisait le passage du Loir à cet endroit. Le Grand Chemin Gaulois venant de la Manche, l’empruntait pour se diriger vers Poitiers. De même, la voie romaine venant du Mans y croisait celle d’Orléans à Angers. On peut imaginer sans peine que la construction primitive – si construction il y eut à cette époque – souffrit, au même titre que la ville, de l’incursion normande. Le Moyen Age vit le pont se fortifier et une poterne, flanquée de deux tours, en défendait l’accès sur la rive droite.
Teinturiers et tanneurs mis en cause
Avec l’industrialisation de la cité au XVII° siècle, la circulation devint difficile. Teinturiers et tanneurs, nombreux
et prospères, étalaient journellement sur les ponts leurs peaux et leurs étoffes, en prenant tout à leur aise. C’était certes très pittoresque mais il pouvait en résulter de graves accidents pour les passants. Le 13 octobre 1775, M. Lelong procureur fiscal du comté du Lude, remontrait au bailli les inconvénients de cet état de choses et le priait de le faire cesser :
« Les chevaux qui passent à chaque instant sur ces ponts, dit-il, sont toujours effrayés de voir les peaux, soit tannées, soit avec leurs poils, et des pièces d’étoffes peintes des plus vives couleurs. On les a vu bien des fois se jeter à l’écart et faire des bonds capables de démonter leurs cavaliers, de les blesser contre les parapets. Il est aisé de concevoir combien les gens de pied qui, dans ces moments là, se trouvent sur les ponts, sont exposés à être écrasés par le pied des chevaux. Si lorsqu’on force son cheval effrayé et épouvanté de ces peaux et teintureries, le vent venoit à les agiter, il pourroit bien arriver que le cheval se jetteroit dans la rivière… »
Une ordonnance rendue par le bailli le jour même et publiée aussitôt, stipulait les mesures et pénalités réclamées. Il était seulement permis « aux dits teinturiers et aultres de mettre une inscription au-dessus de leurs portes pour annoncer leur métier… sur le mur et non en forme d’enseigne suspendue ».
Déjà, en mars 1756, Yves Bertereau, responsable de la grande et petite voirie en la Généralité de Tours, chargé d’examiner la situation des routes menant à la ville du Lude, constatait que la chaussée des ponts en mauvais état, rendait le passage très délicat tant pour les charrettes, chevaux que pour les gens de pied. Il observait également qu’au bombagé de cette même levée, il y avait peu de pavés et les bermes étant en ruines, formaient des trous fort dangereux surtout par temps pluvieux. Il recommandait à chacun d’être très vigilant
Une incursion royaliste
La Révolution, les guerres de Vendée verront à nouveau le pont du Lude devenir point de passage important. Le 9 juin 1815, douze royalistes s’en emparaient. Une lutte s’engageait entre ces derniers et plusieurs habitants pendant que le tambour de la garde nationale battait la générale dans la Grande Rue. Plusieurs maisons furent pillées dont celle du maire, M. Lepingleux. L’hôtel de ville livra une partie de ses papiers administratifs aux flammes. Quelques citoyens, acquéreurs de biens nationaux, durent verser une contribution ; d’autres, emmenés comme otages, ne furent relâchés qu’une semaine plus tard. Le vieux pont de bois ne répondant plus au trafic fut remplacé avant la guerre de 1870 par l’actuel ouvrage à trois arches. Ce dernier n’a pas le passé historique de ses devanciers, bien qu’ayant connu la venue des Prussiens en 1871, l’arrivée des Américains en 1917 et les passages des réfugiés, des troupes alliées et ennemies au dernier conflit mondial. Son rôle, en dehors de la circulation routière, se borne à servir de balcon pour admirer la belle perspective sur le cours du Loir et les jardins du château… et ce n’est déjà point une fonction si négligeable.
(Jacques Bellanger, Le Lude Ancien, 1988)