You are currently viewing Étymologie et toponymie Ludoise

L’étude des noms de lieux relève autant de l’histoire que de la formation de notre langue. Il est intéressant de connaître l’origine des dénominations s’appliquant aux rues du Lude et aux endroits habités de notre région. On considère comme parmi les plus anciennes les appellations de nos cours d’eau. Le Loir (Ligdus 616, Lid 6671, l’Aune, la Marconne, Marc-onna, l’eau des chevaux) portent des noms qu’il faut rattacher à des langues préceltiques qui ne seraient pas le Ligure. En dériverait, selon certains auteurs, le nom du Lude (autrefois Luz et Luddus). De même, Thorée (Thorreia 1216) et Dissé émaneraient du dialecte gaulois. Le lieu-dit, la Délivrande au sud de la ville serait un Ingrande, terme indiquant la limite entre Turons et Andegaves. De nombreux groupes de lieux habités sont d’origine gallo-romaine. Ils se rapportent aux exploitations agricoles, aux aspects et particularités du sol, à l’hydrographie, etc. Ainsi Colonica, maison de colon agraire a donné Coulongé, de même que l’Aunay est un altenum, lieu planté d’aunes ; le Coudray, un lieu planté de coudres ; Aubevoie (via albal une maison taillée dans l’aubue ou tuffeau ; Rihoui, un rivi-wadum, passage sur un ruisseau… Citons encore le Mortier, mortarium, abreuvoir ; et les différents la Voie, la Voirie. Appartiendraient également à cette époque Tutillé (Tutiliacum), Cuissé, Bouzeau (Bauciallo 616) Cherré Cairaco, Carius….

La Rue d’Orée (en bordure, en lisière du château) est une dénomination d’origine moyenâgeuse. On peut encore y admirer un ensemble de beaux balcons en fer forgé du xviir siècle et quelques hôtels particuliers de même époque (Hôtel de TaIhouët, Presbytère). L’agglomération autour d’une chapelle, le nom du saint patron de l’église, ont constitué La Chapelle-des-Bois (aujourd’hui La Chapelle-aux-Choux), Saint-Mars-de-Cré. La toponymie franque se retrouve dans la Mansellerie, de manse, exploitation agricole ; la Courboisière, la Courtrie, Courbron, de corte, domaine. On défricha beaucoup à cette époque pour bâtir de nouveaux établissements : Le Tronchet, lieu où se trouvent des ensouchements; Arcé, d’arcis, endroit couvert de bois brûlé ; Brouillette, de brulis, partie de forêt incendiée. Le plus souvent les domaines portent le nom du défricheur. Les bordages de la Camusière, la Bertinière, la Ménagerie ne sont autres que les terres mises en culture par les nommés Camus, Bertin, Ménager, etc.

Le Lude, ville féodale, se retrouve dans de nombreux noms de rues : Le Vague, l’Orée, du Four, de l’Image (enseigne), de Beauvais (mot français analogue à l’italien Belvédère, endroit élevé où l’on a une belle vue), des Halles, Gendrottière, des Aitreaux laitre, maison, de l’Aire (endroit où l’on battait le grain. Le quartier du Montruchon était vraisemblablement à l’origine le lieu où se trouvait des ruches. De même, les anciens noms de carrefours Le Puy Marsollier, le Puy Notre-Dame désignaient les puits publics servant à l’alimentation en eau des habitants. Il en subsiste encore à plusieurs endroits de la ville. Isolé dans sa borde ou dans son mesnil, le paysan excelle à observer la nature. Le composé haie donne bien l’idée de la terre enclose. De même les mots clos, la Closerie ; aitre, maison où l’on fait du feu, les Vieilles Aitres; l’aleu, terre libre, sans suzerain; noue, sol humide, les Noues Durand, les Noels, la Noellerie, Noisement.

On a aussi des formations avec des épithètes caractérisant les lieux-dits (Chantepie, Chantecais), concernant le
vent (Bel-Air, Galerne, vent d’ouest), ou provenant soit de l’eau (le Ruisseau, le Gué, l’Étang, Challuau, gué pavé, les Fontenelles, les Aquennes), soit du boisement. On trouve de très nombreux toponymes dérivés du chêne (Beauchêne, Chênevert, la Chesnaiel, du hêtre, du frêne, de l’aune… et le Buisson, la Landelière, etc.). L’imagination du paysan s’est surtout exercée à propos de son ennemi séculaire, le loup, auquel il donnait la chasse et dont il pendait le cadavre au bord des chemins (Pinceloup, Trousseloup, Loup-Pendu, la Ruelle au loup). Il a connu l’insécurité des campagnes et des routes (Malidor, où l’on dort mal, Malfrairies, Godefrairie, mauvaise société, Malicoterie, de cotier, association de paysans, les Affronteries), la justice seigneuriale (la Plaine de justice, endroit où se trouvait les fourches patibulaires). Il a plaisanté sa propre misère (Maigrebien, Vilaines, Tertifume, la Tâcheraiel, son aisance (la Gagnerie, terre où l’on gagne bien sa vie) et raillé le meunier peu scrupuleux qui l’exploitait (Coupe-Sac).

Enfin les toponymes monastiques assurent le souvenir d’ordres religieux comme l’Hermitage, le Prieuré, la Commanderie, les Récollets ou de chapelles et édifices du culte, Notre-Dame-des-Vertus, Notre-Dame-de-la-Délivrande, Le Paradis.

Toute l’histoire ancienne de la région se retrouve dans ces appellations nées de l’observation ou de l’imagination de nos ancêtres. Vieux noms de nos campagnes, parfois déformés, parfois oubliés, ils constituent une remarquable documentation pour l’historien et l’amoureux des vieilles pierres.

(Jacques Bellanger, Le Lude Ancien, 1988)